Cinq leçons du Collège des garants de la Convention Citoyenne française sur la fin de vie

Les garants de la Convention Citoyenne française sur la fin de vie ont eu un accès privilégié aux processus de délibération, à sa conception et à sa gouvernance. Dans cet article, les garants partagent leurs points de vue sur certains détails délibératifs de la Convention et leurs implications plus larges, ainsi que des recommandations pour les expériences futures.

by Min Reuchamps, Bernard Reber, Marjan H. Ehsassi and Agnese Bertello | Jan 22, 2024

Image by Andi Lanuza
De décembre 2022 à avril 2023, 184 citoyennes et citoyens français·es tiré·es au sort se sont réuni·es pendant neuf week-ends pour la Convention Citoyenne sur la fin de vie (CCFV). La délibération a été organisée par et au Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Paris. Le Collège des Garants a été nommé par le Président du CESE avec pour mission générale de veiller à la qualité de la participation et de la délibération, indépendamment du Comité de gouvernance dont la tâche principale était de mettre en place l’ensemble du processus. Dans cet article, nous offrons cinq leçons pratiques de notre point de vue unique en tant que garants de la Convention.

Certain·es participant·es ne sont pas ouvert·es à la délibération et à ses exigences.

Les Conventions Citoyennes peuvent inclure des participant·es qui ne sont pas ouvert·es à la délibération et à ses exigences. Les procédures peuvent corriger certaines dérives. Alors que l’écrasante majorité des membres de la Convention ont incarné un esprit de citoyenneté qui force le respect et revigore le débat démocratique, une petite minorité a utilisé des stratégies qui ne répondaient pas aux normes délibératives et s’est adressée à des médias sceptiques à l’égard de ce type d’innovations démocratiques, cherchant à saper le processus. Si on peut le déplorer, ces tentatives, d’une part, témoignent d’une forme de représentativité du tirage au sort, puisqu’à
l’image de la société tous ses membres ne sont pas toujours bien disposés envers les exigences du pluralisme et, d’autre part, montrent que les procédures ont tenu le choc face à de pareilles manipulations, fomentées d’ailleurs par des conventionnels souvent prompts à dire qu’ils étaient eux-mêmes manipulés, ou du moins qu’ils n’étaient pas entendus.

Les futures conventions – et leurs suites – doivent être surveillées de près pour déceler d’éventuels abus, afin de ne pas jeter le discrédit sur le dur labeur collectif de toute une convention. Une question connexe est de savoir combien de temps une convention doit durer après la fin de ses travaux, car plus les processus sont longs, plus il est possible que des associations se forment et sapent les délibérations. Cela participe même de l’esprit du tirage au sort où il s’agit notamment de ne pas s’accaparer le pouvoir.

<>Les rapports finaux doivent conjuguer complexité et clarté.

Les rapports finaux doivent trouver un juste équilibre entre la complexité des problèmes abordés, des nuances d’opinions et la clarté de la communication vers l’extérieur. Le rapport final de la Convention propose trois types de lignes directrices pour l’accès à l’aide active à mourir et 19 modèles qui donnent matière à réflexion sur les conditions et les voies d’accès à cette aide. En outre, derrière une position majoritaire en faveur de l’aide active à mourir combinant le suicide assisté et l’euthanasie, la Convention a proposé une série d’avis structurés en trois grands ensembles et huit groupes d’opinions. Pour chaque groupe d’opinions, le rapport indique les arguments en faveur d’un modèle particulier, les points de désaccord au sein du groupe et les garanties proposées.

Ce rapport final reflète la complexité du débat. Il présente un grand nombre de facteurs à prendre en considération dans différents scénarios si l’on envisageait une aide active à mourir, ainsi que des arguments et des contre-arguments, ce qui en fait un document très complet. Toutefois, cette complexité, même assortie de votes pondérés, nuit parfois à la clarté des propositions, ce qui risque d’obscurcir la voie à suivre pour la prise de décision ainsi que pour un engagement plus large du public à l’égard des travaux de la Convention. Il reste encore du chemin à parcourir pour faire progresser les résultats de la Convention vers la prise de décision. On peut certes le comprendre, ces décisions ne leur étant pas dévolues.

Les procédures de vote au cours des délibérations doivent être soigneusement étudiées.

Le moment et la raison des votes au cours d’une délibération sont importants et ces implications doivent être réfléchies. La CCFV a démontré qu’il est possible de voter tôt dans le processus pour donner de la visibilité aux groupes d’opinion, qui ont ensuite dû poursuivre le travail d’argumentation et de contre-argumentation. Cette révélation précoce des préférences et des positions a favorisé la poursuite des discussions. Un choix compréhensible a été fait de permettre ensuite à ceux qui étaient initialement opposés à l’aide active à mourir de voter sur ses nombreuses conditions d’accès. En outre, les opposants ont parfois eu le choix de ne pas voter, de s’abstenir ou de voter “contre l’aide active à mourir” lors des votes ultérieurs. Si cela a permis de respecter les différents points de vue des membres de la Convention, l’interprétation de ces différents votes a été difficile, voire impossible, et à tout le moins problématique. Le moment d’un vote visant à ouvrir le débat à l’aide active à mourir et le moment de définir ses modalités – une fois que cette ouverture a été acceptée – ne sont pas les mêmes. Les opposant·es à l’aide active à mourir ne se sont peut-être jamais posé la question en ces termes : “La loi a été votée, donc je l’accepte, mais quels sont les meilleurs moyens d’accéder à l’aide active à mourir ?”.

La formulation des votes au cours du processus devrait également faire l’objet d’une délibération. La Convention a expérimenté différents types de votes tout au long du processus. Les avantages du vote par rapport à la délibération sont notamment de permettre à chacun·e d’exprimer son opinion individuelle et d’agréger les opinions sans que les membres n’aient à justifier leur position. Très tôt dans le processus de la Convention, ses membres ont voté. Ils ont voté à de nombreuses reprises.

Ces votes, quels qu’ils soient, doivent être plus clairement formulés dans les futures conventions citoyennes. Dans un souci de transparence, leurs objectifs et leurs conséquences doivent être explicités. La formulation des questions et les modalités de réponse, ainsi que leur cohérence, ne doivent pas être laissées aux seuls organisateurs. Il vaut mieux voter moins et prendre le temps d’arriver à la bonne formulation et à la cohérence des questions et des options de réponse. La formulation précise des questions pour le vote, et leur déploiement, pourrait faire l’objet d’une délibération entre les membres afin d’assurer une compréhension et une cohérence partagées.

La répartition des responsabilités entre les organisateurs doit être définie avec soin.

Il doit y avoir une division claire du travail et des responsabilités entre les différents organisateurs. L’équipe chargée de l’organisation pratique de la Convention était constituée de personnes issues de sociétés privées de facilitation et du personnel du CESE. D’un point de vue positif, cette combinaison a fourni un mélange utile de compétences et de connaissances complémentaires. Toutefois, les grands choix de conception devraient être menés par le Comité de gouvernance, avec le soutien de l’autorité organisatrice (dans ce cas, le CESE), afin que les décisions stratégiques soient prises avec une certaine distance. Ces décisions stratégiques ne doivent pas être laissées à l’équipe de facilitation chargée de la mise en oeuvre, d’autant plus que le temps nécessaire à la prise de nombreuses décisions est limité. Des ressources adéquates sont nécessaires pour aider les organisateurs et le Comité de gouvernance à assumer cette responsabilité.

Enfin, parallèlement à nos observations plus pratiques, nous avons découvert que notre travail soulevait des questions ouvertes concernant les délibérations qui abordent des problèmes éthiques fondamentaux tels que l’aide active à mourir. L’une de ces questions ouvertes est de savoir s’il serait préférable de faire appel à davantage d’experts, en particulier des philosophes moraux et des juristes, qui ont une compréhension approfondie de ces questions et de ces débats, plutôt qu’à des personnes ayant des connaissances générales. On peut espérer que le fait de voir et d’écouter des experts produire des arguments dans un cadre qui encourage le débat contradictoire permettrait aux participant·es d’approfondir leur raisonnement éthique, d’examiner les contre-arguments et de les pondérer. La gravité de la question le justifierait. Mais la voie d’un raisonnement éthique n’est pas indemne d’objection. Par exemple, pourquoi des personnes choisies au hasard iraient-elles plus loin que des personnes élues ou des électeurs ? Comment concilier la nécessité d’une décision politique avec celle d’une quête éthique, notamment sur des questions privées, voire métaphysiques et religieuses, dans un contexte laïque ?

Ces questions sont si importantes pour la société qu’elles ne devraient pas être limitées à une Convention de 184 citoyennes et citoyens. Cependant, une Convention peut être un tremplin pour une délibération publique plus large. C’est pourquoi nous appelons avant tout à davantage de contacts et de liens avec le grand public. Cela demande de l’attention et de l’imagination. Cela concerne différentes instances gouvernementales, d’autres institutions démocratiques ainsi que le grand public, qui devrait être plus conscient et éventuellement plus impliqué dans la Convention et, par conséquent, honorer l’engagement des conventionnels et la valeur de leurs réflexions, le fruit d’une délibération collective et pluraliste qui devrait idéalement être traduite dans la société dans son ensemble.

Note des auteur·es
En France, l’expression “aide active à mourir” couvre à la fois l’euthanasie et le suicide assisté. C’est le terme qui a été retenu par la Convention et c’est pourquoi nous l’utilisons ici. Toutefois, la terminologie varie d’un pays à l’autre et d’une langue à l’autre.

À propos des auteur·es
Agnese Bertello est une facilitatrice, experte en planification participative, en processus délibératifs et en gestion des conflits. En plus de son travail en tant que membre d’Ascolto Attivo, une organisation basée à Milan qui a conçu plusieurs processus participatifs en Italie, elle enseigne et contribue à la dissémination des pratiques participatives en Italie et à l’étranger.

Marjan H. Ehsassi est chercheure à l’Institut Berggruen Future of Democracy et Senior Innovations Fellow à l’Institut pour l’engagement et la responsabilité démocratiques (IDEA). Basée à Washington, elle finalise son premier livre sur le potentiel transformatif des assemblées citoyennes (qui sera publié à l’été 2024).

Bernard Reber est un philosophe moral et politique franco-suisse, directeur de recherche au CNRS au sein du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), à Paris. Il participe aux travaux internationaux depuis plus de 20 ans sur les délibérations éthiques et politiques, le pluralisme, la responsabilité, l’argumentation tant d’un point de vue théorique qu’en menant des recherches sur des expériences aussi variées que les États généraux de la bioéthique, la Convention citoyenne pour le climat, ou la Conférence sur l’Avenir de l’Europe.

Min Reuchamps est professeur de science politique à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) en Belgique. Depuis 2011 et l’organisation du sommet citoyen du G1000, il participe régulièrement à la conception et à l’évaluation de processus démocratiques en vue de leur institutionnalisation en Belgique et à l’étranger.

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